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Les pensées dispensables

29 janvier 2015

PSYCHOPATHOLOGIE D'UN DESTIN TRAGIQUE: ANAKIN SKYWALKER

 Par Paul Bertin, Université de Nice Sophia-Antipolis 

Anakin Skywalker, Star Wars épisode III

 

 

Le texte suivant est l'adaptation d'un travail universitaire réalisé dans le cadre de ma troisième année de licence de psychologie. Afin de faciliter le plaisir de lecture et la compréhension, des ajustements ont été réalisés. Si vous rencontrez des difficultés lors de la lecture ou si vous voulez réagir aux arguments développés, merci de le formuler en commentaire et c'est avec joie que j'y répondrai. Enfin, si le texte vous a plu, n'hésitez pas à le partager. Bonne lecture !

I- Introduction

La double trilogie Star Wars peut à juste titre être considérée comme une forme de mythe moderne. En effet, le flou entourant le cadre spatio-temporel, la richesse de l’univers imaginaire et surtout le caractère fondamental et quasi-universel des problématiques abordées rapprochent cette œuvre du récit mythologique. Le fil prophétique et tragique de la vie du personnage principal, Anakin Skywalker, fixe le récit aux limites de la tragédie grecque. Le récit ici couvre la majeure partie de la vie de son héros, père dans la première trilogie (épisodes 4, 5 et 6) et fils sans père dans la prélogie (épisodes 1, 2 et 3). Comment grandir sans père pour modèle, sans figure à dépasser? Comment être père alors même que je n’en ai pas eu? Brisons tout effet de suspens et avançons nous d’emblée: cette étude va essayer de démontrer le caractère psychotique à tendance paranoïaque d’Anakin. De fait, il nous serait bien impossible d’appréhender la complexité de ses troubles sans que notre étude ne se porte sur l’ensemble de la saga. Sans tomber dans la doxographie, nous procéderons selon une étude du développement d’Anakin, depuis son enfance (épisode 1) jusqu’à sa mort (épisode 6). Ainsi, dans un premier temps, nous étudierons l’enfance et l’adolescence d’Anakin, avec pour appui des scènes de l’épisode 1 et 2, et nous tacherons de relever les éléments laissant présager une pathologie en puissance et les causes de l’apparition d’une structure psychotique. Ensuite, nous aborderons à travers l’épisode 3 l’avènement de la pathologie avant d’en observer les répercussions dans un troisième moment avec l’appui des épisodes 4, 5 et 6. Enfin, ce travail se proposant comme un diagnostic, une cinquième partie s’est immédiatement imposée à nous par honnêteté intellectuelle. En effet, un diagnostic est un travail d’équipe, c’est une dialectique entre plusieurs approches de la singularité du sujet. C’est pourquoi, dans une démarche cartésienne de mise en doute de notre jugement, nous nous proposons de confronter notre diagnostic clinique aux conclusions d’Hugues Paris et Hubert Stoecklin dans leur ouvrage Star Wars au risque de la psychanalyse: Dark Vador, un adolescent mélancolique?

Remarque: La notation des minutes se fera selon la terminologie suivante: à la 50ème minute= '50. La version utilisée est le streaming du site streamay.com . Les citations seront écrites entre guillemets et en italique. Sauf précision, les définitions sont issues du glossaire de la «La psychanalyse, de Freud à Aujourd'hui», de Dominique Bourdin.



II- L’enfance et l’adolescence

 Dès sa première apparition dans l’épisode 1, Anakin, alors enfant, présente un profil atypique, à la fois mature et naïf. Cette étrangeté est caractéristique du profil psychotique. Esclave, il travaille comme un adulte, il est routinier, pilote et il «est une personne et son nom est Anakin». Il signifie ici un certain détachement vis-à-vis de sa condition d’esclave, il arbore avec fierté un statut de personne, son prénom lui appartenant, il n’est pas entièrement aliéné à son maître. Lorsqu’il demande à Padmé si elle est «un ange», on peut pressentir l’envahissement de l’imaginaire dans sa réalité de sujet. Le psychotique a un rapport particulier au registre imaginaire, ce dernier surgit notamment dans des constructions délirantes. Ici, l’assimilation de Padmé à un être imaginaire laisse présager de telles constructions chez Anakin. Vers 40’, lorsque Anakin accueille les visiteurs chez lui, la construction délirante est une nouvelle fois présente («personne ne peut tuer un jedi (..) j'ai rêvé que j'étais un jedi (..) vous êtes des jedis (..)vous êtes venus pour nous libérer, pourquoi sinon seriez-vous ici (..) moi je crois que c’est pour ça que vous êtes là»). Il projette au dehors ses fantasmes, ses constructions imaginaires et les confond avec la réalité, il les projette dans l'Autre. Le délire est un mécanisme de défense («différents types d'opérations dans lesquels peut se spécifier la défense» Laplache et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse (1973) ). Le délire paranoïaque prend pied dans une intuition et il est organisé autour d'un thème. Le thème peut ici être le complot.

Au début de l'épisode 2, Anakin fait preuve d'érotomanie vis à vis de Padmé: il lui suppose un sentiment amoureux qu'elle nie alors fermement. Pour la période enfance/adolescence d'Anakin, nous parlerons plutôt de personnalité paranoïaque, car les phases délirantes ne sont pas systématisées (la phase délirante est ici entendue au sens de pensées exprimées avec conviction qui sont discordantes avec la réalité). Vers '45, la mère de Anakin à la question qui est sont père? Répond il n'a pas de père (..) je ne me l'explique pas. Le père représente la loi, le désir de la mère, il est un rival et un modèle à dépasser. La psychose, selon Lacan, à comme cause principale la forclusion du Nom-du-père. Cette forclusion est un «mécanisme d’exclusion de la symbolisation générale structurant le sujet» (La forclusion du Nom-du-père, J.C Maleval). Ici, le père n'est pas seulement absent ou disparu, il n'est pas. L'absence d'un père réel ne conduit pas à une forclusion. Mais ici c'est autre chose. Il n'y a aucun père, il n'est pas nommé, il y a inexistence. Dans le discours de la mère, le père n’apparaît que comme n'ayant jamais existé. La mère est seule conceptrice de l'enfant, il n'y a aucun mérite pour le père, il n'y a pas de Tiers dans le désir de la mère. Chez l'enfant, cette forclusion laisse paraître des troubles du langage, que nous ne remarquons pas dans les deux premiers épisodes. Nous continuerons donc à modérer notre observation en parlant de personnalité paranoïaque.

Lors de son départ de Tatouine après le succès lors de la course de la Bunta, la mère ne donne pas de jugement lorsque Anakin demande s'il peut partir: «Tu es d'accord maman?» «C'est à toi seul de décider». Elle adopte une position de neutralité. On peut voir ici une appréhension à l'idée de perdre le phallus, la séparation est difficile. Anakin de son côté («je voudrais que rien ne change») éprouve lui aussi une difficulté à la séparation avec la mère, à porter son désir sur un tiers, ici l'avenir et l'aventure. «Je peux pas, j'y arrive pas», Anakin appréhende ici le manque à venir comme castrateur d'une partie de son désir. Cependant la mère adopte un discours paternel en l'encourageant au départ. Face au conseil Jedi, «il a peur de perdre sa mère» «et alors qu'est ce que cela change?»; il n'envisage pas un autre mode de rapport à sa mère que par la peur de la perdre. Il est dans une situation où il n'a pas accepté la castration malgré la séparation. Sa mère reste l'attention de son désir incestueux, le tiers du père étant manquant. La mère répond partiellement à ce désir en appelant son fils «mon amour», ce qui laisse entendre qu'il est seul objet de son amour. Œdipe enlace sa mère car la menace paternelle n'est pas. l'Autre n'est pas, il n'y a pas d’obstacle à son désir. C'est sur ce point que nous quittons la période de l'enfance pour aborder la période de l'adolescence à travers l'épisode 2.

Anakin, dès sa rencontre avec Padmé au début de l’épisode, laisse exprimer son désir envers sa beauté. Padmé le renvoie alors à son enfance, niant son développement et sa maturité, s'opposant à son désir, il n'y a pas reconnaissance du désir, ce qui va laisser place à l'érotomanie où l'on suppose néanmoins le désir chez l'autre. Ce désir qui se porte vers autre chose que la mère peut être dû au rôle structurant dans la loi d'Obi-Wan. Malgré tout, cette influence se voit être limitée au regard de la prévalence toujours plus forte des désirs d'Anakin dans son rapport à la réalité ( Obi-Wan: «Nous ne sommes en aucun cas là pour enquêter» Anakin: «Nous allons démasquer ceux qui s'en prennent à vous je vous le promets», «Je te prie de suivre mes directives» «Pourquoi?»). Il défie directement la loi et le symbolique représenté par Obi-Wan, il ne comprend pas pourquoi il devrait se plier à la loi plutôt qu'à son désir. Obi-Wan joue clairement le rôle du père, ne cédant pas de terrain face à Anakin («Tu apprendras à rester à la place qui est la tienne», il doit apprendre à se soumettre à l’ordre, à accepter le tiers entre lui et son désir).

Anakin («Elle m'a à peine reconnu», elle a à peine reconnue mon désir) est dans un rapport de persécution ici, d'injustice au regard de ses désirs. Anakin parle de l'omniprésence des rêves de sa mère et «s'il pouvait il préférerait rêver de Padmé». Encore une fois, son désir incestueux refait surface. Anakin était l'homme de la maison, il rêve de sa mère-femme, la confusion règne dans son rapport hallucinatoire au désir. Anakin vers '22 «Vous comptez autant qu'un père» laisse entendre le rôle de père symbolique d'Obi-Wan, et un rapport Oedipien à ce dernier («J'ai parfois l'impression que tu veux ma mort»). Obi-Wan est garant de l'ordre, il est le modèle à dépasser. Ce rôle structurant et limitant va t'il tenir la pathologie en puissance d'Anakin? Vers '27, il y a encore une fois un délire de persécution et d'injustice à l'égard d'Obi-Wan («Il me critique, ne m'écoute pas», «Il ne comprend pas c'est injuste»,«Il feint de ne pas s'en apercevoir» etc..). Sur Naboo, Anakin entame une idylle avec Padmé. Est-ce un dépassement de son désir incestueux? Padmé est-elle son nouvel objet de désir? Y a t-il eu réalisation de l’œdipe (il veut dépasser Obi-Wan et désire autre part que sa mère)? Il n'y a que projection de la figure maternelle sur Padmé, le fantasme ressurgit dans la réalité encore une fois: «Quand je suis prêt de toi je souffre le martyr, j'ai peur de te perdre» (Anakin pour Padmé). Anakin projette l'image de sa mère sur Padmé et redoute la castration, la perte. Il est dans un rapport à une réalité construite car plus acceptable, il n'a pas perdu sa mère, Padmé la supplante, d’où l'angoisse de perdre Padmé et la souffrance à son contact, car par ce compromis, elle arrache Anakin des mains de sa mère («Tu hantes mes jours et mes nuits, tu mets mon cœur au supplice», il y a un rapport prévalent à la souffrance dans la relation sentimentale, il y a une forte ambivalence entre le désir et la réalité). «Rien n'est impossible»: dans sa réalité hallucinée, Anakin est tout-puissant.

Vers '70, Anakin découvre que le désir de sa mère, après son départ, s'est porté vers un autre que lui, elle s'est mariée et a eu un autre enfant. Il est confronté à deux éléments intolérables: la perte de l'exclusivité du désir de sa mère et la perte de celle-ci, il y a perte symbolique et réelle de la mère. Il va tenter de suppléer à ces deux menaces en refusant la perte symbolique par abstraction de celle-ci (« vas-tu?» «Chercher ma mère»:échange entre le demi-frère de Anakin et ce dernier, il ne dit pas chercher notre mère mais chercher ma mère, il ne reconnaît pas le fruit du désir de sa mère autre part que sur sa personne). Lorsque la mère retrouve son fils, le dialogue est le suivant: Anakin:«Tu m'as manqué», la mère: «Mon grand et beau garçon, maintenant je suis comblée je t'aime». Ils se retrouvent et ne font plus qu'un à nouveau. A la mort de cette dernière, il y a décompensation (faillite d'un équilibre défensif entraînant une émergence pathologique) , passage à l'acte (projection d'un conflit dans un agir impulsif, caractéristique de la psychose paranoïaque) et jouissance (satisfaction pulsionnelle intense souvent ignorée). L'équilibre assuré par la mère est brisé, il n'y plus d'interdit, le tabou du meurtre est levé (ce qui se répétera par exemple lors de l’exécution du comte Dooku dans l'épisode 3). Il rentre dans l'hébéphrénie («besoin d'agir qui entraîne le dédain pour tout obstacle et tout danger», pathologie fréquemment observée à l'adolescence, la forclusion du Nom-du-père, J.C Maleval). Il y a clivage du moi, une partie du moi va perdre tout contact avec la partie angoissante de la réalité, va chercher à dénier tous les aspects trop angoissants de celle-ci à travers le délire qui forme une nouvelle réalité plus rassurante et désirée. Le déni de la réalité est un mode de défense consistant en un refus de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante. Ce déni portant sur une réalité extérieur est le point de départ de la psychose chez Freud (Cours de psychologie, 1. les bases, R. Ghiglione et J.F Richard). Ce mode fonctionnement va pouvoir s'observer à de très nombreuses reprises chez Anakin.

Anakin massacre la tribu tout entière, et reconnaît en avoir jouit au prêt de Padmé («Je les ai tous tués, même les femmes et les enfants», il a joui en tout point). C'est un premier phénomène morbide physique (signe clinique visible de la maladie). Anakin quitte la personnalité paranoïaque pour s'engouffrer dans la psychose paranoïaque. Lors de son retour dans la maison familiale, il regrette de ne pas être tout puissant.Il «devrait l’être, et il le sera», il y a une injustice compensée par un délire mégalomaniaque. Anakin évolue selon un destin dont il ne doute pas. C'est encore une fois une forme de délire. Il est intéressant de remarquer la ressemblance entre cette scène où Anakin fait de la mécanique et où Padmé répond à ses besoins (elle lui apporte à manger), et la scène de l'épisode 1, lorsque Anakin enfant s'occupait de tout réparer et que sa mère s'occupait du reste. Padmé est substitut de la mère, car sa perte est intolérable. Le point culminant du délire est le report de la fatalité sur Obi-Wan parce ce dernier est «est jaloux», de l'amour entre la mère et Anakin, construction absolument délirante d'un substitut paternel qui lui aurait enlevé sa mère. Il refuse ici le nom-du-père qui est forclos, cette construction à pour cause le déni de la réalité à laquelle Anakin est confronté.

S'il a perdu sa mère, ça ne peut être qu'à cause de ce semblant de père. Or le père ici est hors-la-loi, Anakin impute son propre fonctionnement en marge de la loi à celui qui doit être son modèle. Il y a refus de l'ordre symbolique et inscription dans un imaginaire constituant la réalité et le délire. Il n'est pas humain, «Il est jedi», il y a ici refus de ce qui fait la condition humaine, la mortalité, la fatalité, ce qui fait écran à la toute-puissance de la réalisation des désirs. Sa part d'humanité étant sa mère, qui est morte, son père étant inexistant ou une menace (Obi-Wan), il n'a plus que l'imaginaire, le symbolique lui faisant défaut. Il adopte alors une construction de la réalité délirante comme défense, c'est le symptôme comme formation de compromis. Dès lors Anakin répète ce délire de refus de la perte de la mère, quitte à passer outre la loi (Il veut sauver Padmé qui vient de tomber du vaisseau des clones et veut être déposé, cela lui est égal d'abandonner la mission «de désobéir et d’être banni de l'ordre», il est étranger à l'ordre symbolique). La passion est toute puissante, intriquée dans l'imaginaire. C'est sur ce constat, d'une pathologie installée que nous allons aborder l'épisode 3, pierre angulaire dans la compréhension et dans l'avènement de la maladie d'Anakin.

 

III- La pathologie en acte

L'épisode 3 est un tournant dans l'observation et dans l'approche du trouble d'Anakin. En effet, à partir de cet épisode, il n'est plus sujet-sans-père, il est père-sans-père. Il est inscrit malgré lui dans le symbolique par ce statut, symbolique qui rappelons le, fait trou, à cause de la forclusion du signifiant du Nom-du-père. A l'annonce de cette nouvelle, c'est par écholalie qu'il réagit (Padmé: «Je suis enceinte, c'est une merveilleuse nouvelle» Anakin « ... c'est une merveilleuse nouvelle»), il ne peut symboliser et par défaut, répète ce qui lui a été annoncé. Vers '28, Padmé touche à la réalité du trouble d'Anakin («C'est l'amour qui t'aveugle?» nous pouvons comprendre ici: C'est l'imaginaire qui voile ta réalité?). Anakin perd alors son sourire et invoque l'incompréhension: la menace est proche, la persécution toujours présente.

Anakin à un rapport particulier au concept de destin, il connait son destin (être tout puissant et vaincre la mort) mais ne peut s’empêcher de se sentir persécuté par l'angoisse de la perte de la mère, la castration, qui surgit en cauchemar par projection sur Padmé («les mêmes rêves que sur ma mère mais cette fois c'était toi». L'impossible d’être père, dans sa fonction symbolique, est ici apparente: dans son rêve, celle qui porte ses enfants meurt, et il ne sait ce qui advient de ses enfants. Ce délire prémonitoire vient figurer le déni de la paternité qui apparaît comme une menace aux yeux d'Anakin. Pour Freud, le cauchemar est la réalisation du fantasme. Le fantasme d'Anakin c'est d'échapper à l'impossible d’être père. Dans le «cette fois-ci je ne le permettrai pas» ('31:30), nous pouvons entendre un écho à la tragédie du meurtre de la mère. En effet, le meurtre de cette dernière est survenu après l'annonce de l'existence d'autres objets d'amour pour cette dernière (demi-frère et beau-père d'Anakin). Le bébé de Padmé est associé par Anakin à la perte de cette dernière, peur consciente de la perte réelle (la mort) et peur inconsciente de la perte symbolique (elle aura un autre objet d'amour que Anakin), c'est ce symbolique qui est refusé car menaçant la réalité hallucinée du sujet. Cette angoisse de castration (peur devant le sentiment hostile du parent du même sexe) fait qu' Anakin rejette l'idée «qu'Obi-Wan pourrait nous venir en aide»(Padmé); ce semblant de père, qui a échoué à inscrire Anakin dans la loi et le symbolique, est un tiers menaçant la fusion Anakin-Padmé (qui n'est que la projection de la figure maternelle). Anakin rejette la fatalité et s'enferme une fois de plus dans le délire.

Palpatine s'emploie à renforcer le sentiment persécution et la confusion chez Anakin. Palpatine laisse paraître une structure perverse assez explicite (manipulation constante et absente d'empathie et de ressentiment, les autres ne sont qu'objet, il jouit dans la transgression de la loi et dans la confrontation). Ce dernier lui conte vers '45 comment le meurtre du père symbolique conduit à la réalisation du fantasme. Celui qui jouit de la transgression de la loi manipule l'autre qui n'est pour lui qu'objet, le poussant dans sa déréalisation du monde, creusant le trou dans le grand Autre, rongeant la déjà faible importance de la loi et du symbolique. Anakin ne fait que répéter la confusion, le sentiment de persécution (notamment envers Obi-Wan, ce semblant de père castrateur), le délire de grandeur et de toute-puissance et la peur de la castration, s'écartant de l'ordre symbolique (l’infanticide lors du massacre des jedis, «les siens»).

Lors de l'ultime dialogue à Padmé, il est au point culminant de son délire, en pleine bouffée délirante (construction imaginaire rationalisante) il veut «construire un monde à son image», il voit Padmé se «dresser contre lui à cause d'Obi-Wan». Il est dans le passage à l'acte et décompense, face à la perte de sa femme-mère, comme sur Tatoine, sauf qu'ici c'est le père symbolique qui menace symboliquement et réellement (il l’empêche de tuer Padmé, meurtre qui aurait permis la non-apparition d'un énième tiers castrant). A l'annonce de la mort de Padmé, qu'il aurait lui-même tué (ultime manipulation de Palpatine), Dark Vador (Anakin) décompense à l'annonce de l'échec de son destin d’être tout-puissant(il est lui-même cause de l’échec) et la réalisation du destin tragique intolérable de la castration, de la perte de l'objet d'amour maternel. Il est désormais blotti dans le délire paranoïaque face à une réalité en tout point menaçante.



IV- L'homme malade

L'analyse des épisodes 4,5 et 6 n'offre pas d'éléments cliniques fondamentaux pour la compréhension de la pathologie d'Anakin, mais permet l'observation d'un Anakin maintenant installé dans la maladie et la souffrance, dans un délire quasi-permanent. Au-delà de ces constatations qui n'enrichissent que peu les théories précédemment évoquées, l’interaction entre Anakin et son fils sera un élément pour le moins intéressant à appréhender au vu des conclusions de notre travail dans les parties II et III.

Les apparitions de Dark Vador sont brèves et il apparaît peu dans la trilogie originale. Ce qui est frappant, c'est l'omniprésence du ton impératif,l'absence totale de doute dans son discours et le passage à l'acte constant face aux menaces de son délire. La trilogie n'est que la quête de Dark Vador afin de manger ses enfants, réminiscence d'un passé inacceptable, menace advenue de la perte de l'objet d'amour, Luke et Leia sont les signifiants de la castration. Permettons-nous une parenthèse dans notre entreprise diagnostic afin de considérer la structure paranoïaque de Dark Vador en écho avec le mythe antique de Cronos.

La ressemblance entre le mythe de Cronos et le destin d'Anakin offre une perspective très intéressante afin de mettre en lumière le mal qui le ronge. Cronos est le fruit de l'union incestueuse entre Gaia et son fils Ouranos. Cronos n'a pas de père symbolique, car sa création s'est faite en bafouant un interdit. Il ne peut pas s’inscrire dans la loi, être castré par des parents non-castrés. Cronos, après avoir renverser son père, afin d'échapper à son destin qui voulait que ses fils le renverse (le refus du dépassement du modèle paternel par le fils dans le mythe Œdipien), les engloutissait à mesure qu'ils venaient au monde, jusqu'à ce que l'un deux, Zeus, le renverse. Dark Vador n'accepte pas le destin Œdipien voulant que son fils un jour le dépasse. C'est pourquoi il traque ses enfants, afin de les engloutir, comme le faisait Cronos. Il veut ici remédier à une réalité intolérable, la chute de son fantasme de toute-puissance.

Ainsi, le «Je suis ton père» est une manœuvre stratégique visant à faire de Luke son allié, ce n'est pas l’aveu de son rôle de père qu'il a tant chercher à éviter, mais l'ouverture de sa bouche prête à avaler Luke, passage à l'acte visant à rétablir l'équilibre de son délire. «Luke, tel est ton destin», est une construction délirante, le destin est encore invoqué afin de justifier la nécessité pour Dark Vador d'engloutir ce fils qui doit le renverser. Il y a encore une fois confusion, ambivalence entre le destin idéal de Dark vador, construction imaginaire mégalomaniaque et production défensive du ça, et le destin menaçant annonciateur de sa chute, délire persécuteur et obsédant d'enfants porteurs de préjudices à son égard.

Vers '80 dans l'épisode VI, lorsque Luke lui parle d'Anakin Skywalker, Vador répond que «ce nom ne signifie plus rien pour moi». Il y a déni, et un rapport direct à une signification intolérable attachée à un signifiant menaçant. Le fait même de changer de nom laisse présager la volonté de brouiller la trace au destin persécuteur. Face à une question dérangeante, Vador ne répond pas, cette question ne prend pas pied dans sa réalité construite.

Lors de la tentative de mise à mort de Luke par l'empereur, Dark Vador ne se retourne pas contre l'empereur par pité ou par sentiment de protection envers son fils. Non, il tue l'empereur car ce dernier apparaît comme étant porteur du destin persécuteur que fuit Vador. La phrase clé est: «Maintenant jeune Skywalker, tu vas mourir». Vador prend cette phrase pour son compte, le renvoyant à des menaces primordiales. Ce signifiant, Skywalker, était aussi celui de sa mère, et c'est l'héritage qu'il a reçu de sa mère. Le meurtre de l'empereur est donc un énième passage à l'acte contre une menace persécutrice de la réalité délirante et hallucinatoire de Anakin/Dark Vador.

Lorsque Vador veut regarder Luke avec ses propres yeux, il est dans la régression, il veut retrouver ses yeux d'Anakin. La fatalité du destin est écartée par un dernier délire, la prophétie s'est réalisée, Luke a tué Vador, le fils a tué le père, mais Luke est assimilé à un sauveur, l'imaginaire masque encore une fois la réalité d'un échec inacceptable.



V- Diagnostic comparé: l’étude proposée par H. Paris et H. Stoecklin

Un diagnostic n'étant ni figé ni l'aboutissement d'une pensée unique, il nous est apparut nécessaire, de par l'existence d'études préalables, de les envisager à la lumière de nos conclusions, afin de faire de ce travail une étude complète, critique et non dogmatique. La lecture de cette étude s'est faite après notre diagnostic afin que ce dernier ne soit pas biaisé par des éléments extérieurs à notre réflexion.

L'ouvrage Star Wars au risque de la psychanalyse, Dark Vador, adolescent mélancolique? De H. Paris et H. Stoecklin adopte une analyse doxographique, proche de la philosophie analytique, spéculant sur la symbolique des éléments cinématographiques. Nous nous intéresserons uniquement au diagnostic clinique proposé par les auteurs. Selon eux, Anakin a affaire à une mère dépressive et sa relation séductrice avec Padmé a quelque chose d’incestueux. Il occupe une place d'homme de la maison et refusera la séparation d'avec la mère lors du départ, conclusions auxquelles nous sommes également parvenu. L'ambivalence entre ses activités précoces et un renfermement sur-soi laisse présager selon les auteurs une dépression infantile, le sur-moi est trop puissant. Ils précisent en diagnostiquant un état mélancolique par impossibilité de faire le deuil de la perte de la mère comme objet réel d'amour. Il voit une mère en Padmé et perçoit sa grossesse comme menaçante. Il est intéressant de remarquer qu'à partir d'une analyse analogue de certains des principaux événements de la vie d'Anakin, les auteurs parviennent à une conclusion différente de la notre quant au diagnostic clinique. Nous voyons une psychose paranoïaque chez Dark Vador là ou les auteurs voient un objet mélancolique déchu.

Nous arrêterons ici notre brève comparaison afin de ne pas nous perdre en digression. Néanmoins, cette divergence dans le diagnostic, alors que la nosographie est si semblable, est représentative, à notre sens du caractère divergent de l'appréhension de la souffrance selon celui qui l'approche; des lors, le doute ce doit de recouvrir le diagnostic et ses conclusions.





VI- Bibliographie et sources

Notre travail à été réalisé à partir des films suivants:

-Star Wars I, La menace fantôme (1999), George Lucas

-Star Wars II, La guerre des clones (2002), George Lucas

-Star Wars III, Le revanche des siths (2005), George Lucas

-Star Wars IV, Un nouvel espoir (1977), George Lucas

-Star Wars V, L'empire contre attaque (1980), George Lucas

-Star Wars VI, Le retour du jedi (1983), George Lucas

Toutes les définitions, sauf précision, sont issues de l'ouvrage:

-La psychanalyse, de Freud à Aujourd'hui, de Dominique Bourdin

Les allusions à la théorie de la forclusion du Nom-du-père sont inspirées par l'ouvrage:

-La forclusion du Nom-du-père, de J.C Maleval

Les allusions à la psychose sont inspirées par l’ouvrage:

-La psychose selon Lacan, de C. Fellahian

La discussion autours du diagnostic c'est faites grâce à l’ouvrage:

-Star Wars au risque de la psychanalyse, Dark Vador, adolescent mélancolique? De H. Paris et H. Stoecklin.



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